A quelles conditions mettre à disposition un terrain en droit de superficie? Une étude de cas de six collectivités suisses indique comment favoriser la réalisation de logements sans perdre de vue la valorisation économique du terrain.
Description
Pour la réalisation de projets d’écoquartiers, la Ville de Lausanne souhaite mettre a disposition des terrains communaux en droit de superficie. Elle cherche notamment la réalisation de logements d’utilité publique (logements subventionnés, coopératives, etc.) ainsi que l’atteinte d’objectifs environnementaux (mesures constructives, énergie des bâtiments), tout en valorisant économiquement son patrimoine foncier. Dans ce contexte, elle a mandaté une étude comparative des modalités de droit distinct permanent (DDP) dans six collectivités en Suisse : le Canton de Bâle-Ville, la Ville de Berne, la Ville de Bienne, le Canton de Genève, la Ville de Lausanne et la Ville de Zürich.
Définition du droit de superficie (DDP)
Un contrat de DDP consiste à mettre un terrain à disposition d’un promoteur immobilier afin d’y réaliser des constructions, en l’occurrence des logements. Ce droit s’apparente à une location sur un très long terme (30 à 100 ans selon le code civil) : en effet la mise à disposition d’un terrain en DDP génère une rente annuelle pour le propriétaire du terrain. La rente annuelle est en général calculée comme un pourcentage (ou taux de rente) de la valeur du terrain (ou charge foncière), équivalant pour les cas étudiés à 3% à 6% de cette valeur. Au terme du DDP, celui-ci peut être renouvelé, ou bien les constructions reviennent au superficiant.
Problématique
Lors de l’octroi de droits de superficie, ou droits distincts permanents (DDP) destinés à la réalisation de logements, les collectivités publiques sont confrontées à deux objectifs a priori contradictoires:
- D’une part, en tant que propriétaires des terrains, ces collectivités attendent naturellement un rendement juste de la mise à disposition de leurs terrains (rente).
- D’autre part, confrontées la plupart du temps à une demande de logements très forte, elles ont pour responsabilité de faciliter la réalisation de logements dits « d’utilité publique »
Par conséquent, la question qui se pose pour ces collectivités est de définir des modalités d’octroi des droits de superficie qui encouragent la réalisation de logements d’utilité publique, sans se couper d’une sources de revenu légitime.
Analyse comparative: Zürich, Bâle-Ville, Genève
La Ville de Zürich: le modèle « gagnant – gagnant » La particularité du modèle zürichois est de prévoir des modalités différenciées selon les types de projets – d’intérêt public ou privé -, ainsi que selon le type de zone d’affectation: cette différenciation des pratiques permet d’une part de soutenir efficacement la réalisation de logements d’utilité publique, d’autre part de bénéficier des mécanismes du marché libre (offre et demande) pour valoriser au maximum ses terrains dans le cas de projets d’intérêt privé. La valeur du terrain y est définie comme un pourcentage du coût global du projet, et varie selon la catégorie de projet. Ce pourcentage varie ainsi de 7% pour des logements de catégorie I situés en zone de forte densité (zone A), à 20% pour des projets privés situés dans une zone de faible densité (zone E).
Le Canton de Bâle-Ville: un modèle partenarial. Dans le modèle bâlois, le calcul de la rente n’est pas basé de manière classique sur une estimation de la valeur du terrain, auquel est appliqué un taux de rente. Ce modèle se base sur une formule mathématique appelée « rente partenariale », élaborée par la Basler Kantonalbank. Cette formule vise un équilibre à long terme de la rente, tenant compte à la fois de l’évolution de valeur absolue du terrain, des bénéfices du maître d’ouvrage ainsi que de la valeur intrinsèque des bâtiments. Comme la rente est réévaluée tous les dix ans, cela prévient les décalages importants qui peuvent apparaître à long terme entre ces différents paramètres.
Rente annuelle = bénéfice annuel net planifié x valeur absolue du terrain
/ valeur absolue du terrain + valeur intrinsèque des bâtiments
Le Canton de Genève: la transparence par les « prix fixes », un taux de rente adapté. La particularité du modèle genevois est, pour les logements d’utilité publique, de fonder le calcul de la rente sur un prix fixe au mètre-carré de surface brute de plancher (SBP). De plus, le taux de rente est adapté au type de projet. Dans les cas ordinaires (projet sans utilité publique), la valeur absolue du terrain est fixée à dires d’expert (expertise indépendante). Pour les logements d’utilité publique, une valeur au mètre-carré de surface brute de plancher (SBP) est fixée officiellement, et appliquée pour tous les projets situés en « Zone de développement 3 » (zone de logements d’utilité publique). Cette valeur est actuellement de 542.-/m2 de SBP. Actuellement, le taux de rente est de 5% pour les projets d’utilité publique, de 6% pour les autres.
Conclusions et recommandations
Les différentes pratiques étudiées se caractérisent par la grande diversité des paramètres sur lesquels on intervient pour déterminer le niveau de la rente: estimation de la valeur foncière, taux de rente, mesures complémentaires en faveur des logements d’utilité publique. La diversité tient aussi au potentiel d’adaptation de la rente sur le long terme: le modèle bâlois est celui qui tient le mieux compte de l’évolution des paramètres économiques; de même le modèle zürichois s’adapte à l’évolution des taux hypothécaires. A l’inverse, les rentes bernoises, genevoises et lausannoises sont celles qui présentent la plus forte stabilité sur le long terme, n’étant indexés que sur l’Indice des prix à la consommation. Les modèles « stables » présentent une sécurité pour les maîtres d’ouvrage à long terme, mais peuvent constituer un manque à gagner important pour les collectivités.
Quelques recommandations générales peuvent dès lors être énoncées concernant l’avenir de ces pratiques:
- Elles devraient être suffisamment formalisées pour offrir transparence et égalité de traitement: Bâle-Ville, Zürich.
- Elles devraient offrir une simplicité propre à faciliter la réalisation de projections financières pour les maîtres d’ouvrage: Genève, Berne, Lausanne, Zürich.
- Les rentes devraient être programmées aussi en fonction d’objectifs d’aménagement du territoire, notamment pour favoriser la densification: Zürich.
- Les rentes devraient pouvoir être adaptées à l’évolution de la conjoncture économique
- Des pratiques différenciées devraient être mises en place vis-à-vis des projets d’intérêt public d’une part, où la rentabilité pour les collectivités passe au second plan, et les projets d’intérêt privé d’autre part, où les lois du marché peuvent s’appliquer au bénéfice de la collectivité : Genève, Zürich.
Sources et informations complémentaires
EtudeDDP-Lausanne-Rapport-final
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