Publié le 5 Février 2015 sur Citiscope par Patralekha Chatterjee (traduit par Fanny Blanc)

Les enfants du bidonville Salia Sahi à Bhubaneswar présentent leur charte de revendications pour plus d’éclairage public dans leur quartier (Photo de Humara Bachpan)
Delhi, Inde – Un dimanche après-midi dans un bidonville bondé de Narela, sur les bordures de Delhi, un groupe d’enfants s’assoit sur un tapis vert parmi les tuiles cassées, les briques et les morceaux de bois, absorbés par une discussion sur leur quartier.
Poules et chèvres errent autour. Des femmes plus âgées, drapées de leur sari traditionnel, se promènent à proximité. Des seaux en plastique, utilisés pour s’approvisionner au point d’eau le plus proche s’empilent dans un coin. Un enfant crie en essayant de grimper sur un chariot. Les enfants, âgés de 7 à 16 ans, parlent de leur besoins en sanitaires, eau propre, parcs et éclairage public. La réunion hebdomadaire de leur club d’enfants, connu sous le nom de Mannat, se poursuit.
Un visiteur pourrait se demander pourquoi des enfants voudraient passer une partie de leur week-end dans une réunion au lieu de jouer. Une réponse possible est qu’à la différence des enfants aisés d’Inde, ils ne bénéficient pas de terrain de jeu ou d’équipements de loisirs.
Mais c’est aussi parce que Mannat (qui veut dire “souhait” ou “voeu”) fait partie d’une expérimentation menées dans plusieurs villes indiennes. L’idée est d’organiser les enfants des zones appauvries et des “colonies de réinstallation” telles que Narela, où les habitants des cabanes déplacés par le gouvernement vivent dans de terribles conditions. Ces clubs sont un forum pour leur permettre de discuter sur des manières de rendre leurs quartiers plus adaptés aux enfants et pour les motiver à faire des requêtes auprès de la municipalité afin d’impulser un changement. Sur le long-terme, on l’espère, une génération de jeunes leaders émergera de ces bidonvilles et auront les moyens de défendre leurs communautés.
Membres d’un club à Narela, une « colonie de réinstallation » sur les bords de Delhi (Patral
ekha Chatterjee)
“Nos familles sont ici depuis des années”, explique Shahnaz Khatoon, une jeune fille de 15 ans membre de Mannat. “Nous n’avons toujours pas les équipements de base – pas de toilettes ou de canalisations. Chaque jour, nous devons nous lever à l’aube et marcher de longues distance pour récupérer de l’eau. C’est la même histoire chaque soir.”
Shahnaz doit prendre des décisions difficiles. Chaque nuit elle doit choisir entre passer plus de temps sur ses devoirs ou fait la queue pour avoir de l’eau à la pompe publique de son quartier. Les enfants sont parfois blessés dans la bousculade, affirme-t-elle. Les membres des familles vont chacun leur tour chercher de l’eau mais quand les adultes sont encore au travail ou occupés avec les tâches ménagères, il revient aux enfants de s’occuper de cette tâche.
“Le gouvernement parle de la campagne “Swachh Bharat” (Inde Propre)” Shahnaz poursuit. “Mais où est la propreté dans une colonie telle que la nôtre? Les pouvoirs locaux n’écoutent pas les adultes. Les enfants ont du pouvoir. Je pense que les choses peuvent changer si nous nous rassemblons et faisons entendre nos revendications”.
Élever les voix
Il est largement compris que l’Inde est face à une urbanisation croissante. La population urbaine devrait augmenter de 377 millions à 600 millions au cours des prochains 10-15 ans. Les villes, moteur de la croissance économique indienne abritent une classe moyenne croissante, avec de bonnes écoles, des équipements récréatifs et des cliniques médicales pour ceux qui peuvent se l’offrir.
Cependant les villes indiennes continuent d’être des lieux de grande disparités e
n santé, éducation et autres opportunités. Selon le rapport du gouvernement “Bidonvilles en Inde -un recueil statistique 2011”, un habitant sur huit entre l’âge de 0 et 6 ans vit dans un bidonville. Alors qu’il y a beaucoup de discussions ces jours-ci autour du plan du Premier Ministre Narendra Modi “100 villes intelligentes”, le destin des enfants des pauvres ne figure que trop peu dans le discours public autour du futur des villes.
Une campagne appelée Humara Bachpan essaie de changer cela. Depuis deux ans, le groupe explique qu’il a organisé 325 clubs pour enfants dans plus d’une douzaine de ville en Inde, de Mumbai à Calcutta et Bangalore. Plus de 35000 enfants, la plupart âgés de 7 à 16 ans, les ont rejoint.
Humara Bachpan (qui veut dire “notre enfance”) espère réunir les voix des enfants pour qu’elles soient entendues par les responsables locaux. Lorsque les clubs se rassemblent, les employés de Humara Bachan identifient les enfants qui montrent des capacités de leadership ou qui ont des facilités en communication. Lorsque les enfants expliquent les besoins de leur quartier, Humara Bachpan essaie d’organiser une réunion entre les jeunes leaders et le maire. Les victoires sont petites mais parfois symboliques. Et elles envoient un message aux pouv
oirs public: les enfants ont des besoins différents des adultes. Elles envoient aussi un message aux enfants: on ne va pas avoir de changement si l’on ne s’exprime pas.
Rupak Gowda, un membre du club Ma Mangla child club à Bhubaneswar, s’adresse à une
audience pour la semaine de la sécurité routière. (Photo de Humara Bachpan)
Les résultats les plus importants viennent de Bhubaneshwar, capitale de l’État de Odisha à l’Est de l’Inde. La lycéenne Jasmine Nissa me raconte au téléphone le moment où elle et ses amis du Ma Mangla club sont allés voir le maire de la ville avec leurs revendications concernant deux éclairages publics qui ne fonctionnaient pas.
“On lui a dit que nous faisions du vélo pour aller à nos cours du soir”, explique Jasmine. “Sans d’éclairage public qui fonctionne, c’était sombre et dangereux. Il était obligé de nous écouter.” Le problème a été résolu. Rupak Gowda, 16 ans, aussi membre de Ma Mangla, explique que le lobbying du club a poussé les autorités locales à installer 30 éclairages publics dans un groupe de bidonvilles. Un avant-poste de police a aussi été promis.
Humara Bachpan et ses alliés travaillent aussi au niveau national. En novem
bre dernier, la fondation Bernard Van Leer a organisé une conférence à Delhi appelée “Petits Enfants, Grandes Villes”. Pendant l’un des ateliers, les enfants des clubs se sont mélangés avec des enfants de milieux plus aisés. Laissés à eux-mêmes, les enfants, passant outre les divisions économiques et sociales, demandaient plus ou moins les mêmes choses – de l’eau propre chaque jour de la semaine, des alentours propres, des espaces publics sûrs et une système de transport public fiable.
L’intervenant principal était le ministre Indien du développement urbain, Venkaiah Naidu. Il a reconnu les problèmes que rencontrent les enfants, particulièrement dans les bidonvilles. Ces “âpres réalités urbaines” affectent le “développement intellectuel et les perspectives d’avenir” des enfants, explique-t-il, particulièrement les enfants de très jeune âge. Naidu a déclaré que le temps était venu pour que les plan d’urbanisation des villes aient des chapitres réservés à la satisfaction des besoins des jeunes enfants.
“Nous avons aussi des droits”
Mannat et dix autres clubs pour enfants de Delhi sont parmi les plus récents à s’être implantés. Mannat a été créé en Septembre. Les travailleurs de terrain de Humara Bachpan ont commencé à instaurer des réunions de quartier pour les enfants et les adultes. Ils ont ensuite montré le film d’animation “Meet Munna” sur la vie d’enfants d’un bidonville qui apprennent à travailler ensemble et à militer pour le changement.
Les clubs ne consistent pas qu’en travail et responsabilités. Les enfants jouent, dessinent et font des spectacles, avec des activités prévues pour chaque classe d’âge. A travers le jeu – et avec les conversations des plus grands- ils viennent à voir que leur quartier plein d’ordures, qu’ils acceptaient complètement auparavant, ne devrait pas être ainsi.
“Avant, nous n’étions pas éveillés”, explique Sheikh Jamaal, 11 ans. “Quand on nous chassait des parcs publics, on pensait que c’était simplement comme ça. Maintenant nous savons que nous avons aussi des droits. Pourquoi ne serions nous pas autorisés à jouer dans un parc public?”
Il continue: “notre colonie n’a pas de toilettes. Les toilettes de l’école ne sont nettoyés que lors du ‘World Toilet Day’. A la maison, nous devons tout faire avec seulement deux seaux d’eau. Je ne peux pas faire ma toilette pendant plusieurs jours d’affilés. Parce qu’on n’a pas de toilettes à la maison, je dois aller me soulager dans un champ. Même la nuit, ce qui veut dire faire face aux serpents. Pourquoi est-ce que ça devrait être comme ça?”
Les nouveaux éclairages publics dans le bidonville Salia Sahi à Bubaneswar. (Photo de Humara Bachpan)
Dans un quartier voisin, Neha Thakkar, 12 ans, et ses amis sont membres d’un autre club appelé “Happy Child Club”. Les membres se retrouvent régulièrement sur la terrasse d’un habitant du quartier. Les problèmes sont à peu près les mêmes que ceux rencontrés par Shahnaz et Sheikh. Les enfants veulent des rues propres, des éclairages publics, de l’eau propre et des parcs pour jouer. Manju Goel, un travailleur de Humara Bachpan, explique que c’est encore tôt mais il y a des signes prometteurs. Les leaders des clubs ont tracé leurs quartiers sur une carte. Chaque infrastructure qui ne fonctionne pas ou qui doit être réparée est annotée sur la carte par une croix. Le projet final sera partagé avec les conseillers municipaux locaux, les urbanistes et les politiciens.
Les enfants pensent que l’exercice leur a permis de mieux connaître leur colonie. Neha e
xplique que certains des enfants ont aussi utilisé ce qu’ils avaient appris lors de réunions à la maison et à l’école. “Nous n’avons pas de poubelles à l’école” raconte Neha. “Les enfants jettent leurs détritus dans la salle de classe. Maintenant, nous peignons des boîtes de carton vides avec des couleurs vives et nous les utilisons comme poubelles”.
Les clubs d’enfants transformeront-ils les périphéries trop longtemps négligées de Delhi? Ce serait en demander beaucoup à des enfants. Cependant voici là une première étape vers des discussions sur l’amélioration des conditions de vie des pauvres en ville. “C’est facile d’ignorer les adultes” déclare Satish Kumar, un activiste travaillant pour Humara Bachpan. “Mais fermer la porte à des enfants qui ne demandent que les infrastructures de base, cela va être bien plus difficile”.