Un article de Matthieu Chenal, SuisseEnergie pour les communes, paru initialement dans AGEFI Magazine de février 2016
Les communes ont un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique. Or le développement des technologies de l’information change la donne, offre des opportunités inédites mais suscite aussi des interrogations. Avec le projet Smart City Suisse, le réseau des Cités de l’énergie se profile sur l’enjeu des villes intelligentes.
Au plan mondial, les villes, qui hébergent depuis 2007 plus de la moitié de la population, comptent pour deux tiers de la consommation d’énergie et pour 70 à 80 % des émissions de gaz à effet de serre. On constate déjà une forte corrélation entre l’urbanisation, le bien-être et l’empreinte écologique (WWF, PNUD). Autrement dit, plus le taux d’urbanisation d’un pays croît, plus l’indice de développement humain grimpe, mais aussi la charge sur l’environnement. Pour garantir un indice de développement humain élevé et une empreinte écologique faible, il faut réorienter les villes vers des systèmes plus durables, qui garantissent une prospérité, une qualité de vie, une forte résilience et des émissions de CO2 en baisse. La durabilité n’est plus facultative pour les villes et elle n’est d’ailleurs plus contestée.
Tout devient smarter
Parmi les différents modèles préconisés pour cette transition, l’une des pistes passe sans surprise par l’innovation technologique, fortement promue par les grandes entreprises informatiques (IBM, HP, Google, etc.). C’est le concept de « Smart City » qui réunit en un principe la question de savoir comment les villes peuvent utiliser plus intelligemment (smarter) et plus efficacement leurs ressources, en recourant à la technologie de l’information et de la communication (TIC). La numérisation de notre monde génère en effet une masse de données (le fameux « big data ») dont la maîtrise permet d’imaginer de nouveaux modes de gestion territoriale.
Selon cette « nouvelle utopie urbaine » comme la décrit Alex Willener de l’Université de Lucerne, la Smart City s’engage sur la voie d’une société de l’énergie post-fossile et entend parvenir aux objectifs de la protection du climat. Et cela se réalise grâce à une combinaison intelligente des infrastructures (transport, énergie, communication, etc.) avec les différents niveaux hiérarchiques (bâtiment, quartier, ville). Ainsi, une Smart City offre à sa population une qualité de vie élevée avec une consommation minimale de ressources naturelles.
Dans sa Stratégie énergétique 2050, la Confédération fait référence aux Smart Cities, notamment au chapitre de la promotion et de la coordination de projets au niveau européen. Ce champ de recherche est en effet très prisé en Europe et la Suisse n’est heureusement pas en reste dans ce domaine. Mais du concept à la réalisation, il y a encore du chemin à faire. Et c’est dans ce but avoué que l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) soutient depuis trois ans le projet Smart City Suisse (lire encadré ci-dessous).
Vers le réseau des réseaux
Un des champs d’application les plus immédiats de Smart City concerne les réseaux d’énergie. Il est étroitement lié à l’adaptation en cours de ces infrastructures pour répondre aux contraintes d’une production d’énergie de plus en plus décentralisée. Si on a beaucoup entendu parler du « smart grid », à savoir l’optimisation du réseau électrique, plusieurs projets se sont développés en Suisse romande autour d’une problématique plus vaste, prenant en compte toutes les formes d’énergie : « C’est la seule possibilité pour maximiser l’intégration des énergies renouvelables locales en ville », argumente Gaëtan Cherix, directeur du Centre de recherches énergétiques et municipales (CREM) à Martigny (VS).
L’un des premiers projets fondé sur cette approche globale s’appelle MEU (Management de systèmes Energétiques en zones Urbaines, meu.epfl.ch/ ). Piloté par l’Energy Center de l’EPFL, MEU a tenté de répondre dès 2009 aux besoins exprimés par quatre Cités de l’énergie GOLD de Suisse romande – La Chaux-de-Fonds, Lausanne, Martigny et Neuchâtel. La plateforme MEU est un outil de gestion énergétique du territoire, agrégeant les données de consommation des bâtiments et de l’approvisionnement. Il permet le suivi des performances énergétiques et des émissions de CO2 pour une zone urbaine. Il constitue en ce sens une aide à la décision, directement utilisable par les délégués à l’énergie des villes.
Dans la même logique, le projet IntegrCiTy déposé par l’EPFL, et qui vient d’obtenir le feu vert d’un fonds de recherche européen dédié aux smart cities, ira encore plus loin dans les simulations multiréseaux et l’interopérabilité des réseaux (électricité chaleur, froid, gaz, méthanisation et déchets). Il permettra d’effectuer des simulations pour des scénarios de développement. « On constitue ainsi un smart grid de toutes les ressources en réseaux et des consommateurs, détaille Gaëtan Cherix, ce qui permettra une visibilité et une compréhension sans précédent des systèmes énergétiques urbains. » L’outil sera ensuite testé in situ sur le Canton de Genève et à Vevey (VD), en partenariat avec les entreprises multi-énergies locales.
Plus proche des consommateurs, le projet Interreg PlaneTer offre déjà aux habitants de la région de Martigny et de Chamonix (F) un outil simple d’utilisation pour les particuliers qui souhaitent construire ou rénover leur habitation. Il suffit de cliquer sur une parcelle ou un bâtiment pour obtenir les informations sur les différentes solutions énergétiques, pour connaître les aides financières et vérifier la disponibilité des énergies renouvelables (solaire, géothermie, CAD). Finalement, le croisement de ces informations avec les consommations d’énergie permet d’évaluer en tous points du territoire les meilleures opportunités de valorisation des ressources locales. (www.espace-mont-blanc.com/actualites/lespace-mont-blanc-au-coeur-de-la-transition-energetique )
L’Observatoire de la mobilité

Carte représentant la provenance par communes et quartiers de Lausanne des personnes qui transitent à travers Pully (en vert). L’analyse porte sur 25’000 personnes sur la base des portables Swisscom. Crédit: Swisscom, Ville de Pully
Grâce aux traces laissées par nos téléphones mobiles, il est devenu possible de visualiser en temps réel tous nos déplacements. Swisscom est en train de développer une offre de type Smart City pour exploiter ces données de base, anonymisées et agrégées, qui se chiffrent en dizaines de milliards d’événements par an. Pour son premier projet, l’entreprise s’est associée à Pully (VD) en lançant un observatoire de la mobilité afin de répondre aux besoins de la commune. « Nous avons pensé qu’il serait intéressant d’analyser ces données pour Pully, qui est un pôle secondaire dans une agglomération, déclare Alexandre Bosshard, coordinateur à la Direction des travaux et des services industriels. Quelle est la spécificité de tels territoires – nombreux en Suisse – formant une entité politique distincte de la ville centre ? Et comment les appréhender ? »
Les premiers résultats permettent de recenser combien de pendulaires sortent (11%), entrent (10%), traversent la commune (60%) et combien de personnes y circulent (13%). Ces données brutes sont jugées représentatives (Swisscom représente 60 % des abonnements mobiles) mais doivent être encore affinées pour distinguer les modes de transport, les variations saisonnières ou le temps de séjour au centre ville. « Il est encore trop tôt pour parler de réalisations concrètes issues de ces études, estime Marc Zolliker, municipal. Mais elles nous apporteront certainement une nouvelle vision des enjeux de mobilité, un angle d’approche complémentaire. »
Le potentiel de cette approche suscite à coup sûr un grand intérêt, et positionne Pully de manière avant-gardiste dans son processus vers le label Cité de l’énergie. « La Municipalité a vite été conquise par le projet, explique le municipal, car il recoupait une démarche participative en cours pour la requalification du centre ville. Ces données doivent nous permettre de déterminer la fréquentation et les pôles d’attractions de la commune et d’alimenter les ateliers participatifs que nous organisons avec la population. »
La plateforme Smart City Suisse
Lancé en 2012 comme un volet de SuisseEnergie pour les communes, Smart City Suisse n’est pas un nouveau label, mais fait référence à l’élargissement volontaire des activités d’une Cité de l’énergie. Cette plateforme soutenue par l’OFEN s’adresse en effet aux collectivités labellisées Cité de l’énergie qui souhaitent intégrer davantage d’intelligence dans leurs infrastructures. Elle leur offre de nouvelles possibilités de promotion et de financement des projets «smart» pour atteindre leurs objectifs ambitieux. Les groupes cibles sont principalement les acteurs des communes, des fournisseurs d’énergie, des investisseurs, des prestataires de services (énergie, mobilité, construction, TIC), ainsi que les associations, les cantons et les privés. Pour renforcer la connaissance et l’intégration des acteurs, Smart City Suisse diffuse des informations sur le thème, organise des réunions régulières et un congrès international chaque année, apporte des références sur les expériences réalisées et les projets en cours et fournit des appuis en matière de développement et d’accompagnement de projets.
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