Les acteurs du projet urbain et leurs motivations
A) Acteurs
Il y a plusieurs façons de distinguer les groupes d’acteurs. On peut les distinguer selon l’intensité de leur relation au projet. Les acteurs touchés sont ceux que le projet affecte directement : les habitants, les propriétaires ; les acteurs concernés sont ceux qui ont un rôle dans la marche du projet : les élus, les administrations; finalement, les acteurs intéressés sont ceux qui s’impliquent plus ou moins ponctuellement sur un aspect ou l’autre du projet : les associations, les experts, les mandataires, les journalistes… Il peut aussi être pertinent de distinguer les acteurs publics (liés à l’administration) des acteurs semi-publics (associations) et privés (habitants, propriétaires).
De plus, il importe de se souvenir que chaque acteur défend en général à la fois des enjeux institutionnels et individuels, parmi lesquels il n’est pas toujours aisé de faire une distinction. Mais une manière pertinente d’étudier les acteurs est de les distinguer selon leurs rôles pour l’avancement du projet.
Les décideurs : il s’agit des élus (communaux, cantonaux) concernés, ainsi que des chefs de service des administrations ayant un pouvoir décisionnel sur le projet, que ce soit en termes de financement, d’orientation stratégique ou de validation. Leur rôle est de donner une orientation au projet, et de mettre à disposition les ressources nécessaires. Il importe que tous les décideurs concernés soient associés au pilotage du projet, même symboliquement, de façon à éviter par la suite des obstacles d’ordre politique.
Les opérationnels : il s’agit des acteurs en charge de la gestion concrète du projet : le chef de projet, les collaborateurs des administrations impliqués dans la structure opérationnelle (équipe de projet), voire des représentants d’associations. Leur rôle est de mener à bien le projet, en réalisant les objectifs fixés par les décideurs. Il s’agit ici aussi d’impliquer les différents services concernés dans une vision transversale du projet, mais aussi d’identifier les personnes véritablement motivées. Le projet doit avoir un sens dans le cadre des missions de ces collaborateurs, et ils doivent disposer des ressources suffisantes – mandat clair, temps, ressources financières – afin de mener à bien les différentes tâches du projet urbain.
Les propriétaires : il peut s’agir de simple propriétaires privés souhaitant valoriser leur parcelle, ou de propriétaires institutionnels (caisses de pension, assurances). L’attitude peut être très variable par rapport aux démarches de concertation : ouverture maximale à la collaboration, allant jusqu’à d’éventuels partenariats public-privé, simple attentisme vis-à- vis des demandes de l’administration, ou attitude de défiance visant à faire arbitrer par le loi les conflits entre intérêts publics et privés.
Les habitants: les habitants ne constituent pas un groupe d’acteurs homogène. Ils se distinguent par leur attitude (pour ou contre le projet), par leur niveau de participation (présents ou absents), par les enjeux qu’ils défendent (privés, collectifs, sociaux, environnementaux, etc.). Le principal défi est la représentativité : comment s’assurer que les prises de position des habitants impliqués dans le projet sont le reflet des positions de tous les habitants ? Une des pistes à privilégier est d’identifier des « acteurs-clés », représentatifs d’une diversité d’intérêts : représentants des jeunes, des commerçants, des parents d’élèves, etc.
B) Les motivations
Les motivations pour participer au projet urbain sont variables d’un acteur à l’autre, et sont les principales génératrices de tensions. Tout d’abord, ces motivations peuvent concerner le projet lui-même, et être relatives à des enjeux économiques, sociaux ou environnementaux. Mais elles peuvent être plus indirectes : visibilité politique et sociale, demandes relationnelles, opportunités professionnelles. Par ailleurs, on peut distinguer des motivations locales, visant à préserver et à développer les qualités intrinsèques du lieu sur lequel s’inscrit le projet, des motivations plus larges comme la réalisation de logements, la réduction de la mobilité automobile, la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution. Si tout le monde s’accorde en général sur les enjeux globaux, c’est lorsque ceux-ci doivent se concrétiser au niveau local que les tensions émergent. Finalement, un autre champ de tension concerne les motivations d’ordre public ou privé : il est en effet fréquent qu’une mesure présentée comme d’intérêt public (ex : la création d’une zone de rencontre) s’affronte à la défense d’intérêts essentiellement privés (la préservation des places de parc). Et les arguments qui prétendent viser la défense de l’intérêt public cachent assez régulièrement des intérêts personnels sous-jacents. C’est valable pour les propriétaires aussi bien que pour les habitants, voire pour les autorités. Ainsi il est souvent utile de distinguer, au-delà des intentions officielles en faveur de l’intérêt collectif, les motivations sous-jacentes qui sont rarement perceptibles en première analyse : ces raisons plus profondes guident souvent les prises de position des uns et des autres, de manière consciente ou non, et peuvent être source de blocages.
Les moyens d’action
Tous les acteurs ne bénéficient pas du même pouvoir d’influence sur le projet. Selon une analyse traditionnelle des moyens d’action, les élus décident, les opérationnels mobilisent les ressources techniques pour accomplir les tâches liées au projet, les habitants et associations font des propositions et se prononcent sur les mesures préconisées, les propriétaires financent et réalisent les aménagements. Or la réalité est souvent différente de ce canevas théorique.
Premièrement, les acteurs ne parviennent pas toujours à mobiliser les moyens d’action qu’on leur prête : les élus ne sont pas toujours en situation de prendre les bonnes décisions pour le projet, par exemple parce qu’un fonctionnement collégial au sein d’une Municipalité les place en situation de minorité et qu’ils ne parviennent pas à convaincre leurs collègues. Les opérationnels manquent parfois de ressources humaines, techniques ou financières ; les habitants ne s’autorisent pas tous à prendre la parole, en particulier lorsqu’ils appartiennent à des minorités culturelles ou sociales.
A l’inverse, certains acteurs peuvent mobiliser des ressources qui dépassent le strict cadre de ce que prévoient les règles de la concertation. Par exemple, le jeu démocratique se poursuit souvent en dehors des arènes du projet, et les débats sont relayés au niveau des assemblées législatives alors même que le projet n’a pas atteint un stade de maturité suffisant. Ou des outils tels que l’initiative populaire sont utilisés pour bloquer un projet avant qu’il ne parvienne à son terme. Au sein de la gestion du projet, un rôle très important peut être dévolu aux opérationnels, et en particulier au chef de projet, qui peut parfois peser d’un poids important sur les orientations stratégiques du projet, ne laissant aux autorités élues qu’un simple rôle de validation a posteriori.
De même que les motivations, les moyens d’action des uns et des autres sont plus souvent supposés que vérifiés, et il ne suffit par conséquent pas de définir de beaux organigrammes et des échéanciers irréprochables. Il s’agit avant tout d’identifier les personnes et les compétences qui seront effectivement les plus utiles pour faire avancer le projet.
Attitude des acteurs et interactions
Une analyse utile des acteurs consiste à les appréhender sous l’angle de leur attitude face au projet : celle-ci peut être favorable ou opposée au projet, et leur positionnement peut être actif ou passif. On a encore le groupe des indécis et des indifférents (Schindelholz, 2010 : 10). Au croisement de ces tendances, on peut ainsi identifier quatre groupes, avec lesquels les interactions ne seront pas du même ordre.
Les partisans : il s’agit des acteurs favorables au projet et qui sont prêts à se mobiliser. Ces personnes devraient au maximum être intégrées dans le projet, parce que leurs idées et leur implication permettra de le faire progresser, et qu’elles pourront contribuer à motiver d’autres personnes. Il faut pourtant être conscient des limites de l’implication des acteurs, notamment bénévoles. Des formes d’indemnisation peuvent être envisagées lors de participation régulière à des séances de travail, en particulier pour les acteurs civils.
Les convaincus : ils sont favorables au projet, mais ne s’impliquent pas particulièrement. Ces acteurs peuvent être encouragés à œuvrer ponctuellement pour le projet, par exemple en participants à quelques soirées de réflexion, où en prenant la parole publiquement en certaines occasions.
Les sceptiques : un certain nombre d’acteurs, en particulier des habitants, abordent le projet avec une certaine méfiance, en particulier par méconnaissance du contexte d’émergence du projet et des objectifs ; il s’agit aussi parfois d’une méfiance de fond envers les autorités, soupçonnées de mettre en place de démarches alibi pour mieux « faire passer la pilule ». Il s’agit alors de passer par une phase de « décongélation » (Willener, 2007 : 203) consistant à bien expliquer les raisons du projet, les opportunités qu’il présente, et à affirmer la volonté des autorités de prendre en compte au maximum les attentes des acteurs locaux.
Les opposants : certains acteurs s’opposent plus ou moins rapidement au projet, et mettent tout en œuvre pour le faire échouer : campagnes de (dés-) information, mobilisation des outils démocratiques, parfois attaques personnelles. Il est très coûteux en énergie et souvent inutile de tenter de changer le point de vue de ces acteurs, surtout s’il s’agit d’une opposition de fond et non pas de critiques ponctuelles sur tel ou tel aspect du projet. En effet, ce sont souvent des raisons sous-jacentes tacites qui motivent cette opposition, et l’énergie mobilisée par les partisans pour convaincre sur la qualité du projet l’est souvent en pure perte. A moins que les opposants n’expriment clairement une volonté de négociation, auquel cas il importe de les associer, il s’agit d’éviter que ces acteurs ne monopolisent le débat. La maîtrise de l’information et une communication bien gérée sont à cet égard essentiels afin de ne pas laisser libre champ à l’effet d’épouvantail que peuvent provoquer les arguments souvent tronqués des opposants.
Les indifférents et les exclus : dans toute démarche participative, un certain nombre d’acteurs locaux sont absents, soit par indifférence au projet, soit par manque de moyens d’action : les enfants, les étrangers allophones, les ados, les actifs surchargés, etc. Un certain nombre de démarches parallèles peuvent être mises en œuvre pour faire participer ces groupes, ou du moins les sensibiliser au projet : lettres d’information, événements tout public, enquêtes à domicile, concours d’imagination, etc. Il est cependant illusoire de vouloir toucher tout le monde, ne serait-ce que parce qu’un certain nombre d’usagers n’éprouve pas d’intérêt ou d’attachement pour son environnement urbain. On ne peut intéresser que des acteurs qui ont un intérêt ou une demande, même informulée. Tenter de se «mettre dans la peau» des usagers absents – les parents, les enfants, les aînés – peut être un bonne façon de découvrir comment les motiver à s’impliquer.
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